Le caractère distinctif des marques sonores

La réforme dite du « Paquet Marques » a supprimé l’exigence de représentation graphique en matière de marque, permettant ainsi la protection de marques sonores, animées ou encore multimédia.

Désormais, le signe doit simplement « pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire »,[1] cette condition pouvant être remplie grâce au dépôt d’un fichier MP3.[2]

Ainsi, un ou plusieurs sons, notamment une note, une combinaison de notes ou une mélodie, peuvent constituer une marque sonore, mais aussi des éléments verbaux chantés ou parlés, ou encore des sons réels, tels que l’aboiement d’un chien, le tonnerre ou le bruit des glaçons, à condition toutefois d’être distinctif au regard des produits ou services pour lesquels la protection de marque est recherchée.

Parmi les questions que soulèvent les marques sonores figure ainsi celle des critères d’appréciation de leur caractère distinctif, c’est-à-dire leur capacité à indiquer une origine commerciale.

Si les sons sont de plus en plus utilisés dans le cadre de stratégies commerciales, encore faut-il pour constituer une marque valable, qu’ils soient susceptibles d’être perçus par le consommateur comme une indication d’origine commerciale.

Il a ainsi été considéré que la simple répétition de trois notes (ci-après) ne peut être enregistrée à titre de marque pour désigner notamment des disques, DVD, logiciels, livres et produits de papeterie, ainsi que des services de télédiffusion, d’éducation et de divertissement, au motif qu’il s’agissait d’une sonnerie « standard » dont est pourvu tout téléphone, si bien que le public serait incapable de l’identifier comme une indication de provenance commerciale.[3]

A l’inverse, dans une décision du 12 mars 2021, la Chambre de recours de l’EUIPO a jugé que le thème musical de James Bond figurant à son générique constituait une marque sonore valable, dans la mesure où ce thème, qui apparaît dans tous les films de James Bond, permet d’identifier les produits et services comme provenant de la société productrice desdits films.

Dans cette affaire, la société américaine DANJAQ avait déposé cette mélodie pour désigner des produits dérivés du film. La demande d’enregistrement a d’abord été rejetée par l’examinateur de l’EUIPO au motif que la longueur du thème musical (25 secondes) ne le rendait pas perceptible par les consommateurs comme une indication d’origine commerciale. Cette décision a été annulée par la Chambre de recours, qui a rappelé que « ni le RMUE, ni les lignes directrices de l’EUIPO ne prévoient une longueur spécifique » pour la marque sonore.

Certes, les lignes directrices de l’EUIPO indiquent que, parmi les marques qui ont peu de chances d’être acceptées sans la preuve d’un caractère distinctif factuel, figurent notamment les « sons trop longs pour être considérés comme une indication d’origine », telle qu’une chanson complète ou une symphonie que seuls des musiciens professionnels peuvent mémoriser.[4] Or, en l’occurrence, la Chambre de recours observe que la marque (sous ce lien) comprend trois parties, à savoir une fanfare de trompettes (5 secondes), une séquence dangereuse et persistante (5 secondes) et enfin le célèbre solo de guitare, fort, rapide et puissant (15 secondes). Il en résulte une dynamique dramatique, assez facilement mémorisable, de sorte que ces trois parties forment un ensemble distinctif.[5]

Ainsi, lorsque la mélodie présente une résonnance particulière, la durée de la marque sonore n’est pas un obstacle à la perception par les consommateurs d’une indication d’origine.

Par ailleurs, des standards sur les motifs de refus ou de nullité de ce nouveau type de marque ont été développés afin de disposer d’une pratique harmonisée à l’échelle européenne. Des règles standardisées dites « pratiques communes » (CP11) s’appliquent ainsi aux procédures tant devant l’INPI que l’EUIPO depuis le 14 juillet 2021.

Celles-ci prévoient notamment que « lorsque la marque sonore consiste en un son produit par les produits ou services ou lié à ceux-ci, ou à d’autres caractéristiques pertinentes de ceux-ci, elle sera perçue par le consommateur comme un simple élément fonctionnel et, par conséquent, la marque sonore sera considérée comme non distinctive. ».

Le Tribunal de l’Union européenne a déjà eu l’occasion de mettre en œuvre ce principe dans un arrêt du 7 juillet 2021, aux termes duquel il a été jugé qu’un fichier audio contenant le son qui se produit à l’ouverture d’une canette de boisson, suivi d’un silence et d’un pétillement, ne peut pas être enregistré en tant que marque pour désigner des boissons et des conteneurs pour le transport, dans la mesure où il ne présente pas de caractère distinctif.[6]

Pour aboutir à cette décision, le Tribunal a rappelé qu’un signe sonore doit posséder une certaine prégnance permettant au public pertinent de le percevoir en tant que marque et non pas comme un simple élément de nature fonctionnelle du produit désigné. En l’occurrence, le Tribunal a considéré que le son d’ouverture d’une canette ou d’une bouteille est « intrinsèque à une solution technique liée à la manipulation de boissons afin de les consommer », de sorte que le public pertinent, confronté au son de pétillement de bulles, sera immédiatement conduit à l’associer à des boissons, sans lui attribuer une origine commerciale déterminée.

La décision de l’EUIPO qui avait validé le 16 septembre 2019, l’enregistrement d’une marque sonore de la société Henkell & Co, consistant en un bruit d’ouverture d’un bouchon de champagne pour désigner notamment des boissons alcoolisées en classes 32 et 33 (No. 018050973, Lien), semble donc être condamnée par cette nouvelle jurisprudence, à moins que le tintement des verres final lui confère la nécessaire distinctivité.

Au regard de l’exigence de distinctivité qui pèse sur les marques sonores, leur protection revêt un enjeu stratégique pour les entreprises. Si l’attrait d’une identité sonore de leurs produits est incontestable, les entreprises devront néanmoins éviter le piège de vouloir monopoliser des sons génériques, inhérents à leurs produits. Ces nouvelles marques constituent également un défi lancé aux déposants dans le cadre des recherches d’antériorités de marques.


[1] CPI, art. L. 711-1, al. 2, issu de la transposition de la Directive 2015/2436

[2] Décision INPI n°2019-157 du 11 décembre 2019, art. 4, 3°(g) qui exige le dépôt d’un « fichier audio reproduisant le son ou une représentation fiable du son en notation musicale ».

[3] CJUE, 13 septembre 2016, aff. T-408/15, Globo Comunicação e Participações S.A. c/ EUIPO

[4] EUIPO, 11 juin 2014, aff. R 87/2014-5, Klang einer Notensequenz (Klangmarke), point 27

[5] EUIPO, Ch. de recours, 12 mars 2021, aff. R 1996/2020-5

[6] Trib. UE, 7 juillet 2021, aff. T-668/19, Ardagh Metal Beverage Holdings c/ EUIPO